Gary Kurtz

DOSSIER DE PRESSE

RENCONTRE DU TROISIÈME TYPE

Il devine le numéro de série du billet que vous avez dans votre poche. Il vous raconte ce que vous avez fait le week-end dernier alors que, non, vous ne l’avez pas passé avec lui. Tout en vous tournant le dos, il énonce à haute voix les premiers mots de la page du livre que vous venez d’ouvrir au hasard. Gary Kurtz est une étrange bibitte. Si au moins il admettait qu’il est un extraterrestre, ça expliquerait bien des choses ! Mais non...

Sonia Sarfati
Paris – Rien dans les mains, rien dans les poches...tout dans leur tête. Celle des spectateurs, s’entend. Ainsi fonctionne l’énigmatique Gary Kurtz, qui montera sur la scène du Théâtre Saint-Denis du 19 au 26 mai : « Je pourrais présenter mon spectacle, nu sur une plage, entourés de gens nus eux aussi », affirmait-il en mars, au lendemain de la dernière représentation de la série qu’il donnait au Bataclan, à Paris, après fait un tabac à L’Européen.

Son aventure dans les vieux pays ne fait toutefois que commencer : à l’automne, il fera une tournée de 45 villes en Suisse, Belgique et France avant de s’installer en février – pour deux mois minimum, probablement trois, possiblement six – au mythique Théâtre Mogador dirigé par Robert Hossein. À ce nom, Gary Kurtz se fait ni mi-figue mi-raisin. Partagé entre la satisfaction d’avoir impressionné l’homme de théâtre...tout en sachant que ce soir-là, celui de cette visite qui pouvait s’avérer décisive dans sa carrière, il s’est, d’une certaine manière, planté.

« J’étais très énervé, j’ai raté plein de choses...mais il ne s’en pas aperçu. C’est que, pendant le spectacle, je prends toujours des risques énormes. Parfois, ça ne marche pas. Je vise alors une marche plus basse. Les gens ne s’en rendent pas compte, mais moi, je le sais. Mon équipe aussi. » Leurs attentes à eux sont plus élevées que celles du public, qui ne sait pas à quoi s’attendre et que Gary Kurtz met dans sa poche en quelques minutes. Les sceptiques sont confondus ou, à tout le moins, sérieusement ébranlés.

La réaction est la même, peu importe de quel côtés de l’Atlantique se produit celui qui se qualifie de mentaliste et qui, quand il est en Europe, évite les mots « voyance » et « don » : « Les superstitions, les histoires de sorcières, tout ça est très ancré dans leur histoire, dans leur bagage culturel. Ils sont donc éduqués de manière cartésienne pour ne pas tomber dans ces « pièges » que leurs ancêtres ont connus », explique-t-il dans ce français qu’il ne maîtrise toujours pas parfaitement, mais qu’il travaille à perfectionner.

Il faut dire qu’il ne l’a jamais étudié à l’école et que dans le petit village ontarien où il a grandi (« 1200 habitants, 1500 en période d’expansion »), le français était, à 100%, langue étrangère. Et apprendre une langue seconde n’était pas dans ses priorités d’alors.

Il n’a pas de beaux souvenirs d’enfance. Il dit qu’il a été « abusé, dans tous les sens possibles », il évoque son père qui a grandi dans les Jeunesses hitlériennes et sa mère qui a, elle aussi, connu la guerre. Eux qui sont arrivés en Amérique pour repartir à zéro, mais qui n’ont jamais décollé de la base.

« Ils n’étaient pas les plus doués des parents et ils ont eu six enfants. Pourquoi, alors qu’ils n’avaient pas envie d’en avoir un seul...ou qu’ils n’auraient pas dû en avoir un seul ? »

Le plus incroyable, c’est qu’il n’y a pas un gramme de rancœur dans ses propos. De la tristesse, par contre. Profonde. Pas étonnant qu’il se soit fermé sur lui-même.

D’autant plus que, hors des murs de la maison, entre ceux de l’école, la vie ne lui souriait pas davantage. « Les autres enfants me trouvaient étrange. Pour quelles raisons ? Je ne sais pas. C’est exactement comme pour les enfants très doués pour la musique ou les mathématiques. Ils font ce qu’ils font, sont ce qu’ils sont. Ils ne se demandent pas si ce qu’ils font est exceptionnel. »

Mais parfois, sa copie d’examen était identique à celle du garçon assis devant lui. Et puis, il y avait ces intuitions à répétition, trop pour les considérer comme des coïncidences.

Très gêné, il était dans sa bulle, parlait peu. Se réfugiait dans sa passion pour les arts. La danse en particulier. Étrange, dans le contexte. Reste que c’est à ce titre qu’il a fait ses débuts sur scène. À ce titre aussi qu’il a rencontré son épouse – la mère de son fils de 13 ans pour qui il tient à être un père, un bon si possible... et là se trouve le seul écueil de cette carrière qui monte en flèche : « Il est à cet âge où je devrais être là », laisse-t-il tomber en détour de la conversation, et on sent que le sujet est délicat.

Retour, donc, à ses débuts sous les projecteurs, Ou autre chose que la danse l’appelait. Viscéralement. Et « cérébralement »...puisque, dans son cas, pas mal de choses se passent dans la tête. Au point où, il l’admet, il a pensé, un temps, être fou. Sa principale crainte demeure toujours là. La folie, la perte de contrôle. Le fait qu’un de ses frères a passé une partie de sa vie dans des institutions psychiatriques n’est pas étranger à cette peur.

Bref, il est devenu magicien. Un magicien faisant les tours que l’on imagine. Jeux de mains, jeux pas vilains. Avant d’encore une fois prendre un virage. Tranquillement, il a délaissé le spectacle de magie pour bâtir un spectacle magique. Nuance. « Ce qui m’a toujours fasciné dans la magie, c’est son côté psychologique. » En ce sens, les accessoires sont, selon lui, une barrière entre l’artiste et le public, une frontière entre la personnalité et l’émotion. Ils sont d’ailleurs le moins présents possible dans son spectacle. Par choix, aujourd’hui. Autrefois, par obligation. « Il me fallait développer autre chose pour faire compétition à David Copperfield et ses huit camions », rit-il.

David Copperfield, d’ailleurs, qui a vu Gary Kurtz sur une scène à San Diego. « Il était le troisième à se lever pour applaudir », s’amuse-t-il – à moins qu’il ne soit sérieux : cet homme

« Ce qui m’a toujours fasciné dans la magie, c’est son côté psychologique. »

possède en effet un étrange sens de l’humour. Et pas beaucoup d’admiration pour la magie à grand déploiement. Et absolument aucune pour les voyants-charlatans qui abusent des gens. « Les personnes qui possèdent un don véritable ne se trouvent pas au bout du fil », s’irrite-t-il.

Il sait de quoi il parle, lui qui reçoit régulièrement des « demandes spéciales ». Retrouver un parent disparu. Retracer un criminel. Entrer un contact avec un enfant autistique. Et même si cela le désole - « Ces gens-là sont souvent désespérés » - il ne bronche pas d’un iota de sa position : « Je ne veux pas faire ça. En fait, je ne peux pas le faire. Ce n’est pas mon métier. Les gens ne réalisent pas à quel point il y a des trucs dans le spectacle. Des trucs pour diriger les personnes que je choisis, pour saisir leur langage physique, leur gestuelle, leur comportement. »

Donc, il y a des trucs ! Bingo ! Gary Kurtz sourit alors de son sourire ambigu. « Il y a des trucs, mais ce n’est pas truqué. » De quessé encore ? « Dans une représentation, il y a 80% de vérité et 20% de trucs, explique-t-il (manière de parler, on s’entend !). Enfin...plus que 20% si on considère les trucs psychologiques. Reste à départager ce qui est vrai de ce qui est un truc. Surtout que, souvent, je ne suis pas conscient quand j’utilise mon sac de trucs, quand je me sers de mon intuition, quand j’use de psychologie. Et puis, finalement, ça dépend de la définition qu’on donne au mot truc ! »

Décidément, de plus en plus clair pour l’intervieweuse. Et il s’en amuse d’indécente manière ! Comme il s’amuse de la quinzaine de personnes qu’il invite sur scène au cours de chaque représentation. Choisies parmi les premières arrivées, par ce qu’elles dégagent : « Je dis à mon équipe, qui se charge du recrutement, d’élire les gens qui les « attirent » - un peu comme lorsqu’on arrive dans une salle de bal et que, parmi les inconnus, on se sent attiré par quelqu’un. »

Des erreurs, parfois ? « oui. » Sans plus de commentaires.

« Dans une représentation, il y a 80% de vérité et 20% de trucs », admet le mentaliste Gary Kurtz.

Drôle de numéro, ce Gary Kurtz. L’avoir en tête-à-tête pour une entrevue, l’observer sur une scène, n’importe quand. Mais l’avoir à plein temps sous son toit ? Brrrrr...Pas sûr. « Ce qui m’intéresse, c’est le spectacle, je suis très normal, plutôt dans ma bulle, assez lunatique. Les gens qui me connaissent depuis des années et qui ne m’ont jamais vu sur scène sont très étonnés la première fois qu’ils assistent à mon spectacle. »

Réponse terre à terre mais, on le sent, pas convenue. Car son passé, même s’il dit en avoir oublié de grands pans, est toujours en lui. Quelque part. Et, malgré le succès, malgré cette période de sa vie qu’il dit belle, il conserve une conscience profonde d’avoir de la chance, mais de n’avoir pas eu que de la chance. Quand on lui demande si son fils possède les dons-talents-capacités-whatever que lui, il laisse tomber un très rapide et bien senti : « J’espère que non ! » Dure en effet, la route qui a fait de lui la star qu’il est, alors qu’il était à des années-lumière de vivre dans les étoiles.

GARY KURTZ, au Théâtre Saint-Denis
Du 19 au 26 mai et du 21 au 25 septembre.